lundi 25 août 2014

Devenir un meilleur humain avec Fabrice Midal



LA VIE. Pourquoi cet engouement pour la méditation en Europe et aux États-Unis ? Est-ce un effet de mode passager ?
FABRICE MIDAL. Il ne peut s’agir seulement d’un phénomène de mode, car la méditation, c’est une épreuve et une pratique qui vous touche en profondeur. L’expérimenter relève d’une décision. Il y a encore cinq ou six ans, on pouvait seulement suivre des conférences ou rejoindre un dojo zen pour pratiquer, alors qu’aujourd’hui, grâce aux CD à écouter chez soi, la méditation a été rendue accessible à tous. Les progrès de la recherche en neurobiologie ont permis par ailleurs de rassurer les Occidentaux sur les effets positifs d’une pratique tout à fait rationnelle et efficace sur le système immunodépresseur. Les sciences cognitives sont venues confirmer des connaissances sur la conscience que des traités bouddhistes transmettaient depuis 2000 ans.

Vous dites aussi que l'Occident était prêt à recevoir la méditation...
F.M. Oui, car depuis la fin du XIXe siècle, nous sommes en crise. Nous nous sommes coupés de notre expérience propre pour vivre dans l’abstraction, en quête d’un monde idéal, prisonnier d’un rationalisme qui n’est plus raisonnable. Des philosophes comme Bergson, Husserl ou Nietzsche ont bien montré comment, en oubliant le temps ou l’expérience vécus, on a perdu le lien avec soi et avec la vie. La méditation peut nous permettre de renouer avec nous-mêmes. Si elle a été apportée dans les années 1960 par des maîtres venus d’Orient, on a affaire désormais à des formateurs occidentaux qui ont suivi leurs enseignements et témoignent de la façon dont elle peut nous aider à mieux vivre face à la souffrance et à l’angoisse du siècle.

Peut-on dire que c'est un outil antistress ?
F.M. Attention ! La méditation n’est en aucun cas une méthode ou un outil de gestion ! Certes, en nous aidant à nous poser, elle nous aide à nous apaiser, mais il faut sortir de cette vision économique de nos potentiels, qui nous pousse à chercher de l’efficacité partout, jusque dans nos approches spirituelles. La méditation est, pour une part, cette expérience que vivaient simplement nos grands-parents, quand ils restaient assis à regarder le feu de cheminée ou sur un banc devant l’animation du village. C’est un état de présence silencieuse, une simplicité d’être que, submergés par l’inquiétude, dans ces maladies du temps présent que sont le stress, le burn-out et la dépression, nous avons oublié. Bien avant d’être un moyen de se calmer, la méditation est un chemin pour restaurer notre humanité. 


Comment s'y prendre ?
F.M. En apprenant avant tout à se poser de tout son être - corps, émotions et esprit - dans le moment présent. Souvent, les Occidentaux se demandent comment renouer avec leur corps. Or, faire du sport et du jogging ne suffit pas. Il faut d’abord arrêter la course et s’asseoir simplement - sur une chaise ou un coussin - pour habiter chez soi, le dos droit, dans une posture sobre, comme en vigilance. S’asseoir sans rien faire, comme le Petit Prince s’assoit chaque jour devant le renard pour créer une relation. Il ne s’agit pas de faire un effort de tension ou de volonté, mais juste de regarder avec attention ce qui se passe, sans vouloir le changer. Je dirais que cela a à voir avec l’esprit d’enfance. Enfant, on s’émerveille de tout, on a cette curiosité en alerte. C’est ce que j’appelle la pleine présence. Essayez dix minutes par jour, une semaine durant, et voyez si cela change quelque chose à votre vie. 


Cela peut-il changer notre regard sur le monde ? 

F.M. C’est une école de douceur et de tendresse. On ne juge pas les choses, mais on cherche à les regarder. La pleine présence et la bienveillance aimante sont les deux ailes d’un même oiseau. Parler de bienveillance nous aide à sortir de cette idée de performance ou de toute-puissance sur le monde qu’on associe à tort à la méditation. Si elle nous rend plus conscients, ce n’est pas pour être plus efficace, mais pour avoir plus de patience et d’amitié, que ce soit pour le moment présent ou pour les autres. Le tout-contrôle n’est pas la voie de l’amour, les chrétiens le savent bien.

S'agit-il d'altruisme ?
F.M. Oui, à ceci près que la bienveillance aimante s’exerce tout autant vis- à-vis de soi-même que vis-à-vis des autres. La méditation ne répond pas à la question de la source de l’amour, mais nous aide à en faire l’expérience. Des chrétiens me disent que méditer les aide à retrouver le contact avec leur cœur, à regarder avec plus de douceur leurs propres blessures. Les Occidentaux sont souvent trop durs avec eux-mêmes... Voir la méditation comme un détachement est une idée fausse et contradictoire, car la bienveillance aimante est au contraire un travail pour sortir de sa tour d’ivoire et se découvrir le cœur grand ouvert au monde.

C'est ce que vous avez expérimenté ?
F.M. Absolument. Je raconte dans mon livre, Frappe le ciel, écoute le bruit, ce long chemin. Méditer m’a sorti de la souffrance d’une enfance privée d’amour et m’a fait découvrir un rapport sain à la bienveillance. La méditation - et les rencontres que j’ai faites avec elle - m’a appris à faire confiance à l’amour et à m’en nourrir pour moi- même. Au début, je venais pour me « débarrasser » de ce que je n’aimais pas en moi et, 25 ans plus tard, non seulement je n’ai rien éliminé de ce que je suis, mais j’ai dû l’embrasser, le prendre dans mes bras comme un bébé meurtri et faire la paix avec tout cela. Je n’allais pas éliminer mes souffrances en leur tapant dessus ou en les ignorant, mais par une attention bienveillante à leur égard. Méditer ne nous apprend pas à mieux contrôler les choses, mais à travailler avec tout ce qui nous arrive dans la vie, les joies comme les peines, les difficultés comme les grâces. Prendre les épreuves non comme des tuiles à éviter mais comme des occasions de grandir et d’ouvrir davantage son cœur.

Méditer, c'est se réconcilier avec soi ?
F.M. Ce n’est pas tant un travail sur soi que sur le plus proche pour le découvrir. Et notre plus proche, c’est nous-mêmes. Penser cela, ce n’est pas de l’orgueil, car l’orgueilleux ne s’aime pas. On a trop opposé l’amour pour soi et celui pour les autres. Aimer quelqu’un peut nous aider à nous aimer et se guérir soi-même peut guérir les autres. Une mère qui baigne d’amour pour son enfant éprouvera aussi de la bienveillance pour sa collègue de bureau. Car là où il y a l’amour, il irradie.

interview Élisabeth Marshall (La Vie)